déc 26 2019
Manifestations au Chili, comment se vit le conflit social ?
Cela a pris des grandes tournures très rapidement. Des chiliens mécontents sortaient frappant sur leurs casseroles, des incidents se produisirent, violences par ci, incendies par là, tout a très vite dégénéré ! Dès le lendemain, beaucoup ont occupé la place publique pour signifier leur colère, sans avoir besoin d’attendre un quelconque appel à manifester. Un couvre-feu s’instaura 24 heures plus tard.
Qu’ont ressenti les chiliens à partir de ce 18 octobre ?
Comment sont les violences et la politique à la chilienne ?
Manifestations au Chili et France, même combat ?
Une peur du passé et de l’avenir
Les jeunes de ce pays se posent beaucoup de questions pour leur avenir, ils ont conscience que le futur leur sera plus difficile à vivre. En 2013, j’avais interviewé un ami chilien afin qu’il nous explique le parcours du combattant des grandes étapes de la vie professionnelle : études, travail, retraites : la vidéo est ici. Le thème de l’environnement vient se greffer au conflit. « Combien de temps va t-on encore exploiter la nature sans la respecter ? », ai-je entendu. Des camions des compagnies forestières ont été brûlés en Araucanie, pour protester contre les déforestations et la destruction de l’écosystème.
Pour les moins jeunes, ceux qui ont connu les années Allende suivi du coup d’Etat de Pinochet en 1973, les événements récents réveillent une sombre histoire du passé ravivant une époque de restrictions. La remise en place du couvre-feu dès la fin d’après-midi a fait renaître des craintes. Dans les familles, impossible de faire l’impasse sur ce qui se passe dehors. La télévision commence à diffuser en boucle des images de violences, écartant le sujet principal ayant déclenché le désordre. Des défilés de casseroles résonnent des rues, venant animer les discussions des familles. Inquiétudes, sécurité, privations de liberté, comment ne pas en parler ? La politique est un sujet chaud au Chili.
Les violences, placées au coeur du débat
Le sujet des violences anime fortement les discussions. Pas une fois, lors d’un apéro le sujet est omis. J’ai l’impression que les actes récents de délinquance préoccupent davantage que les conditions de vie difficiles subies par une grande partie du peuple (serait-ce là un écueil de notre société matérialiste ?). J’entends par délinquance une violence inutile et délétère pour tous, avec des abus autant commis par les forces de l’ordre que le peuple.
Ces violences ne sont qu’un bruit de fond incessant relayé par les médias omniprésents, et qui ne savent pas vraiment remettre les choses à leur place, pourquoi en est-on arrivé là ? Elles ne sont qu’une conséquence d’un malaise social car sans manifestations, la Plaza Baquedano de Santiago, connue sous le nom de Plaza Italia, n’aurait pas ressemblé à un spectacle apocalyptique post guerre civile.
Il semble évidement que la télévision et journaux préfèrent faire sensation en semant la peur. La peur nous tétanise, bloque notre réflexion ce qui permet un meilleur contrôle des citoyens. Bien entendu, le gouvernement se complaît dans cette situation. Je crois aussi que les médias ont peur d’aborder les sujets qui dérangent, de dire que les plus démunis de ce pays ne reçoivent pas les soins médicaux qu’ils devraient recevoir ou bien que femmes et hommes ne naissent pas égaux en droits, que c’est bien le portefeuille de la famille qui trace la destinée du nouveau né. Même s’il existe des bourses étudiantes, elles restent marginales à l’égard du nombre de demandeurs. « Quand on veut, peut-on vraiment ? »
Il existe une crainte d’un futur devenu plus incertain, où chacun mêle sa vision des faits. Certains expliquent que le niveau de délinquance atteint en si peu de temps est régi par une organisation. Tout casser en si peu de temps nécessite un minimum de préparation, des groupes anarchistes seraient derrière tout cela dans le but de détruire.
Si tous les chiliens sont unanimes pour refuser les violences (quoique discutable car certains la considèrent comme légitime défense face au système oppressant et inhumain actuellement en place), tous n’acceptent pas le mouvement, ce dernier protestant en partie sur les grandes inégalités sociales au sein du pays. Dans un contexte de développement humain plus global, le Chili est le plus développé en comparaison de ces voisins sud-américains. Cela induit que beaucoup de chiliens aux revenus très modestes restent mieux lotis que leurs semblables vivants sur le reste du continent. Cette réalité rend-elle illégitime le motif des manifestations au Chili ?
Compte tenu des conséquences des violences extrêmes devenues incessantes, c’est une véritable problématique qui s’est créée, allant au-delà des simples dommages collatéraux de manifestations. Clément, hôtelier à Valparaiso, me disait que la gestion des manifestations au Chili n’est pas comparable à l’organisation française. Les policiers français chargés de l’encadrement des manifs sont formés pour orienter et contenir la foule, bien souvent entre République et Bastille. Cela n’a pas empêché quelques débordements nous sommes d’accord. Au Chili, ces manifestations à revendications ne sont pas aussi fréquentes, débouchant sur une gestion improvisée et menant rapidement à un désordre sans précédent. Avec des policiers chiliens peu formés, couplés à une proportion importante de lanceurs de cocktails molotov, en découle un dérapage inévitable.
La politique au Chili, la séquestration par les dogmes
Il est difficile de comprendre certaines idées, détachées de leurs liens politiques. En effet, l’économie, les droits sociaux, les orientations politiques sont entremélées, ce qui en pointant tel problème vise tacitement des idéaux politiques. Soutenir les droits humains impose systématiquement l’étiquette de gauchiste, louer la stratégie de privatisations nous range sans aucun doute à droite. Depuis le retour de la démocratie en 1990, les gouvernements successifs de gauche comme de droite, n’ont fait que soutenir le libéralisme économique. Accuser un parti plus qu’un autre ne cible pas le problème. Pourquoi ne pourrait-on pas faire co-exister services publics et privés, et sans recevoir d’étiquette politique ?
Parler de politique pour aborder les événements actuels rend le débat encore plus stérile où chacun campe sur ces positions. Je pense mettre le doigt là où ça fait mal, le Chili est dominé par des penseurs extrémistes. Nous avons d’un côté ceux qui prônent un capitalisme néolibéral, permettant à ce dernier de croître sans limite, n’ayant que d’yeux pour l’économie, où une seule minorité prospère de la croissance du pays, oubliant la dimension humaine de chacun et le respect de nos différences. A l’opposé, les défenseurs du dogme marxiste, où culture et spiritualité demeurent « l’âme du peuple », prédominante sur l’économie, avec déjà de nombreux exemples d’effondrements dans les pays où cette idéologie a été instaurée. Chaque extrême maintient fermement ses idées, comme l’unique vérité possible. La ferveur de ces courants de pensées sont si forts qu’ils pourraient se qualifier de religion.
Pourrait-il exister un système davantage équilibré, humain, respectueux de tous où l’argent serait une énergie, au service du peuple, un moyen de vivre mieux et non une fin en soi ?
Président Piñera, à toi de jouer !
Peu après son retour au pouvoir (le président du Chili a déjà été élu il y 8 ans), Sebastián Piñera avait décidé qu’il ne permettrait pas l’examen d’un projet de loi que la présidente précédente, la socialiste Michelle Bachelet, avait soumis au Congrès pour modifier le texte de 1980 afin d’y inscrire l’inviolabilité des droits de l’homme, le droit à la santé et à l’éducation, ou encore l’égalité salariale entre hommes et femmes. Même après 30 ans de croissance, ces minima sociaux ne sont toujours pas à l’ordre du jour.
L’issue possible et souhaitée par le gouvernement chilien est bien que les violences fassent perdre le soutien de l’opinion publique afin que tout redevienne comme avant. Quand certains opposants demandent la démission du président Piñera, d’autres réclament un changement de constitution, par la création d’une assemblée constituante.
Des choses se passent, 5 milliards de dollars pour les dépenses publiques et un soutien aux entreprises. Depuis mi-novembre, il propose un référendum en avril 2020 pour remplacer la constitution héritée du dictateur Pinochet.
Manifestations au Chili et France, même combat ?
Le conflit social actuel au Chili tient les mêmes racines que les mouvements des gilets jaunes en France, inégalités sociales, fin de mois difficiles, voire milieu et début de mois compliqués pour beaucoup. Au Chili, pas besoin de rester longtemps pour se rendre compte que les inégalités crèvent les yeux. Le niveau de rebellion d’autant plus fort reflète proportionnellement le malaise social existant actuellement.
S’il n’était question que des inégalités sociales, ce serait un peu trop facile pour le président milliardaire. Le Chili, issu de la colonisation espagnole, fait face aux revendications des peuples originaires. On pense tout de suite au Mapuches les plus nombreux, mais sont inclus également les peuples Aymara, Quecha, Selk’nam, Kawésqar, Tehuelche… je ne saurais être capable de tous les citer. Certains souhaitent être représentés au sein du gouvernement afin de ne pas être les oubliés des décideurs politiques et pouvoir affirmer leurs choix de vie et se faire respecter. La crise sociale fait effet de boule de neige, les violences sexistes et abus sexuels sont criés haut et fort. Durant les mêmes périodes, Chili et France partageaient les mêmes revendications à l’égard des femmes. On y retrouve des points communs au mécontentement des peuples dans les deux pays.
Deux mois plus tard, banques, centre commerciaux, protègent leur vitrine par des tôles métalliques ou planches de bois provisoires. Des mouvements de rebellion persistent encore. Malgré les destructions notoires, les manifestants ne sont pas stupides, ce sont bien ces entités tirant les ficèles du système qui sont visées, celles qui profitent des richesses croissantes du pays ainsi que les grandes entreprises forestières. Les orientations politiques sont similaires depuis des décennies, la colère populaire ne fait que croître. L’ampleur ici au Chili est juste hors-norme, à l’image de la devise nationale du pays « Por la razón o la fuerza » (Par la raison ou par la force).
Pour aller plus loin, je vous redirige vers 2 articles exprimant leur vision du pays sous des angles différents :
- vue de la gauche : Chili, la naissance d’un soulèvement
- vue de la droite : Chili, comment le socialisme mine encore une fois un pays qui s’enrichit
A revoir également, l’interview d’un chilien qui nous parle des études, du travail et de la retraite au Chili
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Marcelo Aguilar
déc 28, 2019 @ 17:30:57
Desgraciadamente Chile no hace un combate solitario. Los gobernantes elegidos ,digamos democráticamente, muchas veces se sirven de las flaquezas del sistema democrático, que conocen al dedillo, para perpetuarse y enriquecerse con el ejercicio del poder. Esto va hacia los elegidos de la derecha como de la izquierda. Llegan al poder con manejos populistas y promesas que saben que no podrán cumplir. Lo que está fallando es la honestidad, la integridad y el sentido del deber. Lo que sobra es la corrupción. Qué formula utilizar? Si hay algo en que las Naciones Unidas podrían ser mas útiles es re-dibujando entre todos una proposición democrática mas actual, mas moderna, que permita un mejor control de sus deslices e incorporando la ecología y la transformación del mundo del trabajo que no va a tardar en llegar. Se le podría otorgar un label de calidad DOC o AOC……Si ya sé, estoy soñando…
Michel
déc 30, 2019 @ 08:02:05
Merci pour cette synthèse qui aide à la compréhension
Vivianne
déc 31, 2019 @ 00:41:54
Bonjours Chili Vogages,
Effectivement la politique est un sujet chaud au Chili car depuis 40 ans la gauche n’arrive pas a tourner la page et vit avec haine et ressentiment envers la droite c’est pour cette raison qu’on les appels los resentidos. Je ne suis pas d’accord avec les violations aux DDHH á l’epoque au Chili mais je n’ose pas imaginer comment les survivant de camps de concentrations nazi ont ils pardonné leurs bourreaux, des gens qui ont perdus des familles entières et pourtant ils ont bien compris, et malgré l’horreur qu’ils ont vécu, que pour avancer il fallait n’est pas oublier mais pardonner et cela la gauche chilienne n’a toujours pas compris.
Je trouve, en étant chilienne moi même, que votre analyse de la situation actuel au Chili elle est assez bonne sauf pour un point important car quand vous mentionnez que vous avez entendu que le problème dans la région de la Araucanía est la lutte écologique on vous a mal renseigné et on vous a dit « Combien de temps va t-on encore exploiter la nature sans la respecter? ». Des camions des compagnies forestières ont été brûlés en Araucanie, pour protester contre les déforestations et la destruction de l’écosystème. C’est complètement faux, la lutte qui ont un groupe d’indigènes, la CAM, qui ne represente pas tous le peuple Mapuche ce n’est pas de tout une lutte écologique mais une lutte pour les terres que leurs ancêtres ont perdu face aux espagnols á la découverte de l’Amérique par Cristóbal Colón en 1492.